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Linux et moiDistribué au printemps 1998 par le service informatique
du CNRS, bâti sur une distribution RedHat 5.0 bonifiée
grâce à StarOffice 4 et Netscape 4, enrichi d'une
interface graphique lesstif qui n'avait d'autre but que de
démontrer l'inutilité du principe même de
l'interface graphique, mon premier Linux n'était pas bien
beau. Lesstif n'était pas bien stable non plus, ce qui me
conduisait, faute de connaissances, à utiliser une
méthodologie de résolution des problèmes
propre à l'univers Windows : on ne s'embête pas
à débusquer les causes, et on réinstalle
tout. KLa première version stable de l'environnement graphique KDE accompagnait la RedHat 5.1 du premier numéro hors série de Linux Magazine, qui assurait ainsi la première diffusion à grande échelle de Linux en France. On surprendra sans doute bien des lecteurs de magazines informatiques grand public, et plus encore les rédacteurs de ceux-ci, en affirmant que, depuis lors, rien de fondamental n'a changé : même si elle manquait alors d'outils, en particulier dans le domaine bureautique, une distribution Linux offrait déjà un système complet, facile d'usage, et simple d'installation. Si l'on veut faire preuve d'un minimum d'objectivité, on se doit en effet de mettre en regard cette RedHat 5.1 avec le système grand public Microsoft de l'époque, Windows 98, et d'imaginer un utilisateur vierge, ou plus exactement également pourvu, de connaissances dans un domaine comme dans l'autre, et se souvenir que l'unique point commun entre les deux systèmes se limite à leur usage de la commande cd. On se doit également de mettre provisoirement de côté la question du matériel inconnu de Linux, et des pilotes de périphériques. Pour s'en convaincre, il suffit de détailler les processus d'installation. On commence, d'un côté comme de l'autre, par partitionner son disque ; pour cela, on utilise une application en mode console qui se trouve partager le même nom : fdisk. Si l'utilisation de l'une comme de l'autre se révèle d'une pénibilité à peu près équivalente, le programme Linux est quand même un petit peu plus complexe. Il est vrai que le fdisk de Microsoft se limite à prendre en compte les deux systèmes de fichiers maison, FAT et FAT32. Avec Linux, comme toujours, on est largement plus oecuménique, et la dernière version de fdisk permet d'accéder aux formats suivants : |
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Voilà qui a de quoi laisser rêveur, et permet de comprendre à quel point les comparaisons entre un système monolithique entièrement développé par une seule entreprise, et destiné exclusivement à des postes de travail aux performances limitées, et l'héritier de l'histoire longue et mouvementée d'Unix, lequel héritier, avec sa licence libre, n'appartient au fond à personne puisque n'importe qui peut, en gros, faire ce qu'il veut avec, sauf le vendre, n'a pas vraiment de sens. Linux ne concurrence Windows que par défaut, par la nécessité économique qui, bien loin des modestes ambitions d'origine de son initiateur, fait de lui le seul choix possible si l'on désire s'affranchir de la tutelle de Microsoft sur l'architecture x86. Tout le travail des acteurs commerciaux de l'univers Linux, les RedHat, SuSE et autres Mandrake a donc été, à partir de ce fonds commun à tous les Unix, de fournir dans les évolutions successives de leur distribution un système accessible, et de rentabiliser sa commercialisation. Et sans doute, plus que cette évolution vers une plus grande simplicité, qui n'est qu'un leurre et qui, de plus, ne présente pas un grand intérêt puisque, déjà en 1998, le système était simple, la grande nouveauté des derniers mois réside dans le fait que, en effet, désormais, la commercialisation d'une distribution Linux devient rentable. Alors, comment installer Windows 98 ? On commence par
l'intérieur de sa machine ; on enlève tous les
périphériques, sauf la carte graphique, puis on amorce, on
partitionne, on installe le système d'exploitation, et on redémarre. Deux fois.
Puis on met à jour les pilotes du chipset, puis
DirectX, et enfin les pilotes de la carte graphique. A chaque
fois, on redémarre. Ensuite, on arrête son
ordinateur, on place la carte son, on lance la machine, on
installe les pilotes, et on redémarre. Pour chaque
périphérique interne, on procède de la même
manière ; en principe, à la fin, ça
marche. Alors, il ne reste plus qu'à installer ses
applications ; même si ce n'est pas toujours
nécessaire, pour chacune d'entre elles, il est plus prudent
de redémarrer. |
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Dés lors, pourquoi diable se priver de Linux ? Comment
affirmer aujourd'hui seulement, comme le fit voici peu un mensuel informatique
destiné au milieu professionnel que le système est
désormais utilisable au quotidien, affirmation déjà
présente en 1999, dossier à l'appui, dans une édition d'Info PC, défunt mensuel
grand public d'un éditeur qui a depuis beaucoup baissé ? XAussi valait-il mieux attendre six mois, voire un an, avant d'installer un Linux sur sa toute nouvelle bête ; le problème se montrait particulièrement aigu avec les cartes graphiques, les mises à jour du serveur X chargé de gérer cet affichage suivant de moins en moins la guerre des nouveautés à laquelle se livrent les deux principaux constructeurs. Le serveur X lui-même, d'ailleurs, devait, pendant longtemps, rester une bête plutôt rétive, dont la domestication impliquait de modifier à la main un fichier de configuration à la syntaxe un peu obscure même si, en la matière, on a connu largement pire, après avoir pieusement noté les valeurs de balayage de son écran fournies grâce à l'indispensable xvidtune. Pourtant, la pompe était amorçée : montant en puissance, Linux réduisait l'une après l'autre les bastilles des constructeurs, partagés entre la difficulté d'amortir le coût du développement de pilotes pour un système encore peu répandu, et le risque de perdre un marché plein d'avenir. Dernier à céder, ATI fournit maintenant des pilotes pour sa nouvelle génération de cartes graphiques, avant même que ceux-ci ne soient intégrés au serveur X. Outre le plaisir d'échapper à la solution de secours, laquelle, tournant à 60 Hz, se montre fort dommageable pour les yeux comme pour le cerveau, et l'activation de l'accélération 3D d'une carte que, après tout, l'on a payée fort cher à cause de cela, on peut désormais, cerise sur le gâteau, orner son Linux d'un panneau de contrôle qui n'aura bientôt plus rien à envier à celui de la concurrence. Et, parallèlement, l'arrivée en 2000 d'une évolution majeure du serveur X, Xfree 4, sifflait la fin du bidouillage : depuis lors, on configure son affichage une fois, à l'installation, en mode graphique. Ensuite, on l'oublie. |
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A n'en pas douter, pour le geek ordinaire, le ralliement d'ATI représente une avancée décisive : désormais, et grâce aux développeurs qui s'obstinent dans leur utilisation d'OpenGL aux côtés de DirectX™, il pourra se livrer sous Linux, sans retenue, sans compromis, et quelle que soit la marque de son fournisseur habituel, à son activité sociale favorite : massacrer des aliens en bande organisée, à l'aide d'un matériel consommant en quantités effrayantes les pixels comme les euros. |
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En fait, la situation se renverse : en plus de pouvoir installer sous Linux des périphériques conçus au départ pour le seul Windows, comme les modems PCI et leur processeur Conexant, l'absence de contraintes commerciales propre au système permet de garder sa vieille imprimante Epson, incompatible avec la nouvelle génération Windows. Mieux encore : puisque son développement ne coûte rien, Linux, déjà disponible pour une infinité d'architectures, peut accompagner beaucoup plus vite les évolutions de celles-ci : on trouve aujourd'hui au moins deux distributions majeures utilisant les instructions 64 bits des Opteron/Athlon64, alors que l'équivalent Windows dont, comme d'habitude, on n'a pas fini d'attendre les retards, ne sera pas disponible avant des mois. À cause de son origine Unix, cet austère système serveur servant aux choses sérieuses, dont les traces se retrouvent dans des applications immortelles et donc toujours disponibles, comme le traceur de courbes XMGrace ou le modéliseur de molécules Rasmol, Linux a longtemps traîné un dédain certain pour l'aspect visuel des choses, qui se traduisait par une gestion médiocre de l'impression, et un affichage des polices à faire peur. L'ouverture du système au grand public doit beaucoup au travail effectué dans ce domaine, la transition en cours vers un nouveau gestionnaire de polices permettant aujourd'hui de profiter d'un lissage sans reproche : |
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L'amélioration continue des interfaces graphiques et leur raffinement progressif, pour KDE en particulier, bien entré dans sa version 3, apporte par ailleurs, en plus du confort visuel que l'on a déjà évoqué, une finesse inégalée dans le paramétrage de l'environnement de travail, et une quantité d'utilitaires, tel celui qui donne accès aux réglages de l'imprimante, et qui n'ont par définition rien à envier à ceux que l'on développe à Redmond, pour la simple raison qu'ils sont copiés dessus : |
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Avec les applications bureautiques de la famille Gnome, l'autre environnement graphique moderne dont dispose Linux et, au delà, toute la famille UNIX, la copie d'interfaces devient une raison d'être : les développeurs ont fait le pari de dérouter le moins possible les utilisateurs d'applications Microsoft, et le tableur Gnumeric comme le client de travail collaboratif Evolution démontrent à l'envi combien ce pari est tenu : |
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L'offre de Linux en matière d'applications bureautiques se déploie dans deux catégories : d'un côté, les perdants de la lutte contre Microsoft, qui ont trouvé leur salut, et assuré leur avenir, en rejoignant le camp de l'OpenSource : la suite bureautique StarOffice/OpenOffice.org, le navigateur et client de messagerie Netscape/Mozilla en occupent les premiers rangs. Dans la seconde, on retrouve un paysage plus confus et fort actif de logiciels développés pour Gnome et KDE : si The Gimp, le désormais célèbre concurrent de Photoshop, y tient la première place, Gnumeric, Evolution, ou les jeunes pousses tel le logiciel de PAO Scribus, le lecteur de DVD Videolan ou l'application de dessin vectoriel Sodipodi proposent tous des concurrents crédibles aux outils Windows, et permettent de constituer un bureau d'une grande richesse : |
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Tel est, au fond, le tronc commun des Linux d'aujourd'hui. Mais les grandes distributions commerciales, Mandrake, SuSE ou RedHat, proposent plus : ainsi, même si Yast, l'outil de configuration de SuSE, est clairement le plus avancé du groupe, chacune offre en la matière des assistants plus agréables à utiliser que la par ailleurs toujours utile modification des fichiers de configuration en mode texte : |
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Il ne manque plus grand'chose, en fait : gravage de CD voire de DVD, piratage et diffusion de fichiers au format mp3, ou, plus chic, plus moral et définitivement plus Linux, au format libre Ogg Vorbis, ne présentent aujourd'hui pas d'autre difficulté que de venir à bout d'une configuration un peu particulière, qui, par exemple, rend aux graveurs ATAPI leur statut de périphériques SCSI. Mais l'utilisation de Linux amène d'autres avantages, beaucoup plus spécifiques, puisque le principe de la distribution, où l'on livre à l'utilisateur, en plus du système d'exploitation, un ensemble parfois, comme avec la Debian, distribution la plus exhaustive, proprement gigantesque d'applications liées par des contraintes de dépendance, entraîne une totale cohérence de tout ce qui est installé et permet une mise à jour à distance de l'ensemble, laquelle, avec la réactivité propre à l'OpenSource, aura lieu aussi souvent que nécessaire, et notamment pour combler une faille de sécurité. Car Linux, GNU/Linux dans son appellation stricte, ne se contente pas d'être un système d'exploitation professionnel absolument complet, avec ses serveurs DNS, HTTP, SMTP, FTP, POP, IMAP, NTP, CIFS, LDAP, Kerberos, Radius, NFS, WebDav, ses outils de sécurité qui font autorité en la matière, ses deux bases de données open source, sans oublier celle de SAP™ dont on comprend, à la lecture du manuel, qu'il lui manque le manuel pour comprendre le manuel, et le vrai Java de chez Sun™ : il offre aussi, dans le sens premier du terme, cette avalanche d'applications qui couvrent un champ de plus en plus vaste, et qui se résume en deux chiffres : sur ma balance, SuSE Linux 9.0, 5 CD, 2 DVD, deux guides, 3,4 Go de logiciels, 1820 grammes ; Windows 2000 professionnel, 1 CD, 380 Mo tous pleins faits, un manuel, et 67 grammes. Linux n'est pas à vendre, puisqu'il est gratuit : voilà pourquoi il se développe sans cesse, au gré des initiatives, à force d'intriguer les curieux, à un point désormais irréversible. Sans bruit, sans effets de manche, sans autre publicité que celle que lui consacre trop visiblement IBM, il est maintenant ancré dans le quotidien : pour s'en convaincre, il suffit de jeter un oeil sur la dernière offre promotionnelle de son câblo-opérateur, qui propose un abonnement haut débit compatible Windows, MacOS, et Linux, de trouver, sur le site web de l'obscur fabriquant d'un anonyme modem acheté pour 18 euros en grande surface, la section consacrée aux pilotes Linux, de remarquer, au détour d'un sujet de journal télévisé, que les postes de travail de la section de recherche de la gendarmerie de Bordeaux tournent sous Mandrake Linux, ou de constater que Mozilla se trouve chaudement recommandé, notamment en raison de ses options de confidentialité, sur le site de Darty.
WinNé de l'Internet, longtemps cantonné à son rôle toujours prédominant de serveur, Linux est devenu grand grâce à l'activité prolifique de ses cohortes de développeurs bénévoles. Abandonner Windows n'implique qu'un peu de travail, qui n'est rien en regard de ce qui a été accompli, permet de prendre totalement son destin en main, et donne accès à tous les avantages d'un système dont la gratuité n'est que le plus immédiat. Et l'on est vite récompensé de cet effort.Prenons un exemple simple : changer sa carte-mère, et elle seule, en aussi peu d'opérations que possible. Évidemment, on doit déposer et remettre en place tous les périphériques internes, AGP ou PCI ; cette seule action suffit à perturber gravement un Windows 2000 lequel, avec la conception un peu frustre du monde informatique dont ses géniteurs l'ont doté, s'attend à toujours retrouver les mêmes choses au même endroit. Faute de quoi, il réinstalle ; et ça lui prend bien une demi-heure, déminage non compris. Car bien sûr la base de registres, cette inépuisable source d'aigreurs et d'ennuis, a gardé quelque part au creux de ses méandres quelques paramètres périmés qui nous permettent de profiter des plaisirs frelatés de l'incontournable message d'erreur Windows dans toute sa légendaire stupidité, fautes de syntaxes en prime : |
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Comme, en l'espèce, des cartes D-Link DFE-530TX PCI Fast Ethernet Adapter
(RevA), on en a une et une seule pour la bonne raison que c'est toujours la
même, on passe outre et tout va bien. Comme l'on s'en rend compte, l'opération n'est pas à la portée du premier venu. Les racines de Linux sont toujours profondément enfouies au coeur d'Unix, et il restera toujours un système administré, qui demandera toujours des connaissances un peu plus poussées que celles dont on a besoin pour cliquer ici et là en suivant à la lettre un mode d'emploi. Mais ces connaissances, il n'existe aucune raison pour que des utilisateurs certes ordinaires, mais suffisamment avancés pour savoir changer eux-mêmes leur carte-mère, ne soient pas en mesure de les acquérir. En d'autres termes, la frontière ne sépare pas un
système en apparence simple d'emploi, mais dont la
simplicité est nécessairement mensongère
puisqu'il doit gérer le même matériel et
effectuer les mêmes tâches, et un autre qui fut
longtemps desservi par une apparence austère ; elle
passe entre mon copain Christian, et moi. Toute la rhétorique des champions de l'informatique grand public, producteurs de matériel
comme éditeurs de logiciels, se limite à présenter comme simples des choses dont
nous savons bien qu'elles sont effroyablements complexes. L'assistant, cet outil magique, wizard
dans le texte original, censé guider le novice dans un dédale de procédures dont
les auteurs ont balisé tous les croisements, ne pèse rien face à mon copain Christian.
Si les ordinaires utilisateurs de bureautique, privés comme l'immense majorité de nos
contemporains de la plus élémentaire culture technique, sont incapables de comprendre la
différence entre une machine banale, un aspirateur, et l'ordinateur, cette, pour employer un
vocable typique d'une époque depuis longtemps révolue, méta-machine, cette machine
avant, et dans, toutes les autres, dont la polyvalence extrême se paye d'une immense complexité
de mise en oeuvre, alors les exhortations n'auront sur eux aucun effet, et l'informatique
pour tous restera une antinomie. Il n'est pas trés difficile de faire marcher un système
d'exploitation, surtout si, comme Linux, il est fiable et ouvert ; il est illusoire d'attendre de tout
un chacun qu'il acquière les connaissances indispensables pour ce faire. Pourtant, c'est bien ce
à quoi devrait s'attacher tout utilisateur d'un Windows personnel, qui se retrouve de facto administrateur
système de sa propre machine. On peut soutenir que le passage à l'OpenSource de StarOffice et de Mozilla, ou le développement de versions The Gimp ou de Videolan pour Windows, qui donnent aussi aux utilisateurs de celui-ci la possibilité d'utiliser gratuitement tout ce dont ils ont besoin en matière d'applications quoitidiennes, rend inutile le transfert vers Linux des postes de travail. C'est oublier à quel point cet argument de gratuité est secondaire face aux atouts intrinsèques de Linux, robustesse, sécurité, fiabilité en somme, laquelle naît précisément des exigences qu'il impose à ceux qui désirent le maîtriser, au point de défendre la thèse inverse, qui verrait, une fois la formation des utilisateurs à des produits non-Microsoft effectuée, une transition vers Linux d'autant plus facile que ces mêmes utilisateurs n'ont simplement pas la notion de système d'exploitation. Regardant le doigt et pas la lune, une interface familière suffit à les satisfaire. À l'appui de cette thèse, on aura seulement besoin de rappeler que Linux, cet univers que la presse spécialisée se plaît à définir comme complexe, et MacOs X, ce parangon de convivialité, se trouvent être, lorsque l'on a enlevé le carénage, rigoureusement les mêmes systèmes. Denis Berger 19 novembre 2003 |
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