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L'encyclopédie de non-référenceAu fil du temps, à force d'écrire des petites choses sans importance dans le but d'amuser quelques copains, on accumule. Un jour, entraîné par le mauvais exemple de guillermito, et profitant de l'espace gratuit du serveur web d'un copain, on se dit qu'après tout, puisqu'on trouve déjà tant de bêtises sur le net, le fait de rajouter les siennes ne risque pas de changer grand-chose au total, alors on se lance, et puis on oublie. Quand le copain déménage, on installe le serveur chez soi et, la facilité aidant, on jette un oeil sur les logs d'Apache. On constate alors un intérêt incompréhensible pour un texte court et superficiel, qui avait comme seul but d'aligner quelques méchancetés aux dépens de Neil Armstrong lequel, sûrement, a dû en voir bien d'autres. Et en poussant l'analyse un peu plus loin, on s'aperçoit que, souvent, le site de référence conduisant à ce texte se trouve être l'édition française de Wikipedia. En effet, elle propose bien une entrée relative à Neil Armstrong, que voici, et dont on note qu'elle se termine par un lien vers le texte en question : |
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Une hypothése s'impose : quelqu'un, quelque part au cours de l'élaboration de cette notice, et sans qu'il soit possible de déterminer qui puisque, sans être nécessairement anonyme, il est, du moins, comme le confirme une visite sur l'onglet historique, encadré d'une suffisamment longue liste d'anonymes pour que sa trace se perde, a jugé bon de créer ce lien. Depuis, chaque semaine, presque chaque jour en fait, quelqu'un le suit et ne semble pas surpris de ce qu'il trouve au bout, encouragé sans doute par le brevet de respectabilité que les moteurs de recherche ont décerné à cet article, en lui accordant dans leurs classements une position stratosphérique : |
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Mais un robot, lequel peut, par ailleurs, comme ici, faire preuve d'un amour excessif pour le texte simple et d'une légère insuffisance dans l'optimisation de ses algorithmes, ne dispose en principe pas des mêmes facultés de discernement qu'un cerveau humain, et sera de toute façon imperméable au second degré. Or, il se trouve que ce texte sur Neil Armstrong n'est pas le produit d'une longue et érudite recherche, il ne s'appuie par sur une écoute attentive de conversations restées jusque-là ignorées, il ne révèle pas de secrets fracassants : il a été écrit en deux heures voilà quinze ans, et il ne peut en aucune façon servir de référence puisque c'est juste une plaisanterie. Sans doute trouvera-t-on bien audacieux de considérer que cette seule brique mal scellée suffit à ruiner un édifice de plus en plus imposant, d'autant que la courte histoire du projet ne lui interdit pas de faire face à quelques critiques, comme par exemple le risque évident qu'il offre d'accueillir en fraude une camelote négationniste. Car, si subtilement amenée soit-elle, celle-ci restera suffisamment visible, en particulier aux yeux des administrateurs de Wikipedia, parfaitement avertis des dangers potentiels de leur outil, pour que de tels propos soient rapidement relevés et supprimés. La faille de l'édifice, en première analyse, ne vient pas des contributions de mauvaise foi, mais, bien au contraire, de celles auxquelles on accorde un crédit injustifié, et de la manière dont les erreurs involontaires qu'elles contiennent pourront, ou ne pourront pas, être rectifiées. en quoi Wikipedia s'éloigne du logiciel libreOn sait que l'idée de Wikipedia, comme sa licence LGPL, viennent de l'univers du logiciel libre, tendance Stallman, et visent à reproduire dans le domaine de la connaissance ce qui a si bien réussi dans celui de l'informatique : l'élaboration d'un bien commun par la participation de tous, en fonction des moyens de chacun, puisque tout un chacun est présupposé dépositaire d'une parcelle de connaissance qui, si menue soit-elle, est susceptible d'intéresser l'ensemble. Mais la ressemblance entre un programme et une encyclopédie se limite au fait que, dans un cas comme dans l'autre, il faut commencer par les écrire ; le programme, lui, ensuite, s'exécute, et dispose donc de son propre système de correction d'erreurs, brutal mais efficace : s'il est mal écrit, il plante. Il offre donc, paradoxalement pour un logiciel libre par définition livré sans, une garantie quant à son fonctionnement, la disponibilité des sources comme des programmeurs permettant, de plus, en l'espèce, de résoudre rapidement les problèmes. Autrement dit, l'exportation de ce concept, tel qu'il est présenté, vers un projet encyclopédique se révèle privé de pertinence puisque, là, rien, en dehors d'une éventuelle relecture d'un participant qui pourra peut-être se trouver contredite un peu plus tard par un autre, ne garantit la qualité de l'information publiée ; ici, le mécanisme cumulatif et automatique qui permet l'amélioration continue du logiciel libre ne joue pas. Naturellement, les participants à Wikipedia ont bien conscience de cette critique, à laquelle ils apportent un éventail de réponses, citant notamment les erreurs que l'on peut trouver dans les encyclopédies commerciales, et appelant le lecteur à venir armé de ses connaissances et de son bon sens lorsqu'il utilise Wikipedia, comme il convient de le faire avec n'importe quelle source d'information. La référence au mode de fonctionnement du logiciel libre, de plus, se trouve être totalement abusive, notamment parce que, à la différence des programmes propriétaires pour lesquels on doit mettre en oeuvre une procédure absconse afin de découvrir l'emplacement où les développeurs ont caché leurs noms, les auteurs des logiciels libres sont presque toujours nommément identifiés en tant que tels. Les rares exceptions, comme celle de fyodor, prennent tout leur sens lorsque l'on comprend de quoi ils s'occupent. Et bien loin du sympathique bazar, qui résulte surtout d'une lecture superficielle, à supposer qu'elle ait bien eue lieu, de la thèse d'Eric S. Raymond, les grands projets libres, les BSD, KDE, Gnome ou, mieux encore, Debian, avec sa structure pyramidale placée sous la responsabilité d'un chef élu par les autres développeurs, sont en fait fortement structurés, et étroitement contrôlés. Si le logiciel libre fonctionnait comme Wikipedia, il permettrait à n'importe qui de venir, anonymement, modifier le code source de ses programmes. Raisonnablement, cela paraît déjà assez grave ; malheureusement, il se pourrait bien que l'on trouve pire. Car Wikipedia repose sur un principe fortement affirmé par son initiateur, Jimbo Wales, et maladroitement traduit en français sous le terme de neutralité de point de vue, et qui consiste, en gros, dans les domaines que, forcément, quelqu'un, quelque part, considère comme sujets à caution, à accorder une égalité de traitement aux diverses positions en présence, ce qui revient à dire, en très gros, que, au fond, tout le monde a un petit peu raison. On le voit, la neutralité, cette position du diplomate, s'oppose totalement à la posture du scientifique dont le métier est précisément de ne pas être neutre par rapport à son sujet, faute de quoi il serait bien en peine d'élaborer l'hypothèse que son travail consiste à valider. Et l'on ne peut que craindre, et les propos d'un acteur aussi connu dans le milieu français du logiciel libre que Jean-Baptiste Soufron, pour qui la véracité scientifique est illusoire, n'ont à cet égard rien de rassurant, que Wikipedia ne soit prête à s'engouffrer dans l'impasse mortelle du relativisme. Dès lors, le négationniste que l'administrateur de Wikipedia vient de chasser par la fenêtre pourrait fort bien revenir par la grande porte de la neutralité. en quoi Wikipedia se rapproche du logiciel libreCela dit, si, techniquement, Wikipedia ne peut bénéficier des avantages propres au logiciel libre, elle peut, socialement, se développer selon des principes similaires, ce qui n'est pas sans conséquence. En effet, la pratique des développeurs libres tendance Torvalds consiste, dès que, raisonnablement, il ressemble à quelque chose, à rendre leur code accessible, sans restrictions, à tous ceux qui voudront bien le télécharger, en leur laissant le soin d'en faire l'usage qu'ils voudront. En général, compte tenu de l'immaturité du code en question, cet usage se limite à des plantages à répétition, lesquels sont, on le sait, productifs, puisqu'ils permettent, et d'autant plus rapidement que le code est intéressant, donc le nombre de participants au projet élevé, son amélioration. Autrement dit, lors de leur première apparition publique, tous les logiciels libres aujourd'hui si répandus se trouvaient strictement inutilisables. Mais, disponibles uniquement sous forme de code source, ils ne pouvaient se métamorphoser en l'une des ces applications en version alpha si prisées des développeurs que par le détour d'une compilation, opération assez peu redoutable, mais suffisamment complexe pour écarter avec une totale efficacité tout public non averti. Denis Berger, 17 février 2005 |